Les accompagnants des élèves en situation de handicap inquiets pour la rentrée
15 juillet 2019 Par Rouguyata Sall
L’une des mesures annoncées par Jean-Michel Blanquer pour une rentrée scolaire « pleinement inclusive » inquiète particulièrement les parents d’enfants en situation de handicap et les personnels les accompagnant : il s’agit de la création de pôles regroupant plusieurs établissements, dont ils craignent qu’elle ne se traduise par une prise en charge moins individualisée des élèves.
Avec la circulaire de rentrée « pour une école inclusive » et les nouvelles conditions de recrutement et d’emploi des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, a présenté début juin ses mesures visant à « mieux accueillir » les élèves en situation de handicap et leurs parents et à « professionnaliser » les missions des personnels concernés.
Les regroupements écoles-collèges qui figuraient dans le projet de loi Blanquer ont été supprimés par le Sénat. Mais pour les AESH, c'est toujours d'actualité, avec la création de « pôles inclusifs d’accompagnement localisé » (PIAL), qui pourront regrouper plusieurs écoles, collèges et lycées. Conséquence pour les AESH qui y seront affectés : ils devront se déplacer d’un établissement à l’autre et accompagner des élèves de différents niveaux, de la maternelle au lycée, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Le principe des PIAL inquiète Sylvie (dont le prénom a été modifié), AESH à Paris depuis six ans, en CDI depuis quelques mois. Elle fait partie des très rares AESH travaillant à temps plein (41 heures hebdomadaires) et gagne environ 1 300 euros net par mois. Elle est « AESH mutualisée », autrement dit amenée à s’occuper de plusieurs élèves de niveau collège dans le même établissement.
Elle craint d'être affectée dans un PIAL : « On devra passer du primaire au collège, alors que ce ne sont pas du tout les mêmes conditions. On sera amenés à s’occuper de davantage d’élèves, alors que pour les accompagner au mieux, il faut rester le plus de temps possible avec eux. Si l’enfant a un handicap important, on n’arrivera à rien avec 4 heures par semaine. Ça prend du temps d’obtenir la confiance de l’élève. »
Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'éducation, et Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, à l'Élysée, le 3 octobre 2018. © Reuters Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'éducation, et Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, à l'Élysée, le 3 octobre 2018. © Reuters
Anciennement appelés assistants de vie scolaire (AVS), les AESH ont pour mission d'accompagner les élèves en situation de handicap dans les actes de la vie quotidienne et les activités d’apprentissage, sous le contrôle des enseignants. L’élève peut bénéficier d’un accompagnement individuel, s’il a besoin d’une aide soutenue et continue, avec un nombre d’heures d’accompagnement notifié par la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH).
L'accompagnement peut aussi être collectif, dans les classes spécialisées que sont les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS). À la rentrée 2018, 166 000 élèves en situation de handicap bénéficiaient d’un accompagnement, sur les 340 000 élèves en situation de handicap scolarisés.
Pour les AESH mutualisés, comme Sylvie, aucun taux d'encadrement n'est défini, mais dans la pratique ceux qui travaillent à temps plein s'occupent de deux ou trois élèves. Sylvie craint qu’avec la création des pôles, la mutualisation ne soit renforcée au détriment des élèves et des AESH. « Je n’avais plus qu’un enfant à accompagner, raconte-t-elle. Alors on m’a demandé de m’occuper d’un autre enfant avec des troubles mentaux lourds, en ULIS. » Épuisée, elle a demandé à ne plus intervenir en ULIS l'année prochaine. Mais pour l’heure, elle ne connaît pas son affectation, qui arrivera au plus tard le 26 août, selon le mail adressé par le rectorat.
Pour le gouvernement, les PIAL vont permettre « un accompagnement humain défini au plus près des besoins de chaque élève en situation de handicap, une plus grande flexibilité dans l’organisation pour les établissements scolaires et les écoles, une professionnalisation des accompagnants et une amélioration de leurs conditions de travail », comme indiqué dans le vade-mecum.
Cette « gestion plus locale » est un « faux argument » aux yeux de Manuel, membre du collectif des AESH parisien.nes, soutenu par Sud et la CNT. « Ils vont juste nous faire accompagner plus d’élèves, sans augmenter les effectifs. On est inquiets sur les conditions dans lesquelles vont se dérouler la rentrée », précise Manuel, AESH depuis cinq ans, syndiqué Sud.
Dès la parution de la circulaire sur les nouvelles conditions d’emploi, les collectifs et syndicats ont tiré la sonnette d’alarme, interpellé le ministre et organisé des réunions d'information.
Pour Francette Popineau, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU, la mise en place des nouveaux pôles peut être intéressante, si et seulement si elle est pensée du point de vue de l’enfant et pas de celui des gestionnaires. « Si vous avez un AESH qui accompagne déjà des enfants autistes, on peut lui ajouter quelques heures avec un autre enfant autiste. Mais si c’est fait pour boucher les trous, on va déstabiliser les enfants et les personnels. »
Mêmes inquiétudes côté CGT. Pour Hélène Elouard, représentante nationale du collectif AESH National CGT Éduc’Action, le but caché des PIAL est de réduire les effectifs. « Ils vont nous mutualiser, comme ça, il y aura besoin de moins d’AESH. Ça va être catastrophique à la rentrée, ça va être terrible pour les élèves. » Le ministère a pourtant annoncé la création de 4 500 postes pour la rentrée 2019.
« Les enfants sont rassurés de me voir. Ils ont besoin de stabilité »
La création des « pôles inclusifs » étant inscrite dans la loi « pour une école de la confiance », le député communiste Sébastien Jumel a interpellé le ministre de l’éducation nationale sur les AESH le 2 juillet, juste avant l’adoption définitive du projet de loi. En tant que rapporteur de la commission d’enquête sur l’inclusion des élèves handicapés, qui sera bouclée mi-juillet, il regrette que Jean-Michel Blanquer n’ait pas attendu les conclusions de la commission et le retour de l'expérimentation des PIAL lancée en 2018 dans chaque académie. Il assure qu’il sera vigilant à ce que la généralisation de ce dispositif ne devienne pas un « outil pour rationaliser l’accompagnement humain, et mener vers un abandon des accompagnements individuels ».
Dès la rentrée, le ministère prévoit de déployer ces pôles dans 300 circonscriptions scolaires, concernant 2 000 collèges avec ULIS et 250 lycées professionnels. Chaque PIAL sera piloté par un inspecteur de l’éducation nationale du premier degré ou un chef d’établissement du second degré. Ce pilote devra nommer un coordonnateur chargé de réorganiser tout au long de l’année l’emploi du temps des AESH, « en lien avec l’enseignant référent et les équipes pédagogiques » et « en fonction des besoins des élèves bénéficiant d’une notification d’aide humaine et des nécessités de service ».
À Paris, la liste des 27 pôles inclusifs a été présentée lors du comité technique académique du 26 juin. Mais au 12 juillet, les AESH et les représentants que nous avons interrogés ne connaissaient toujours pas leur affectation. Nous avons contacté à plusieurs reprises le rectorat de Paris. Mais le directeur de l'académie n’est pas disposé à nous répondre pour l'instant, une communication étant prévue pour la fin du mois d'août.
En attente de son affectation, Nicolas, dont le prénom a été modifié, redoute lui aussi d’atterrir dans un PIAL. AESH collectif dans une ULIS en école primaire à Paris, il accompagne des enfants autistes, « assez profonds parfois », des enfants avec des troubles envahissants du développement et des déficients intellectuels. Il travaille 27 heures par semaine et gagne environ 900 euros net par mois, après six ans d’expérience – deux ans en contrat unique d'insertion (CUI) et depuis quatre ans en CDD.
Son CDD prend fin le 31 août. Il espère pouvoir continuer à accompagner les mêmes élèves. « On a aussi un rôle d’éducateur, un rôle de confident, surtout que les enseignants changent régulièrement. Les enfants sont rassurés de me voir. Ils ont besoin de stabilité, surtout les enfants autistes. »
Comme chaque année, il passera l’été avec la crainte que son contrat ne soit pas renouvelé à la rentrée. Nicolas estime par ailleurs que la formation est insuffisante. « Je me suis formé moi-même sur l’autisme, en allant à la bibliothèque, en regardant des documentaires, en discutant avec des psychologues. Mais dans ma classe, il y a un enfant qui n’a jamais parlé, on s’occupe de lui mais c’est un peu de la garderie. On ne sait pas quoi faire. »
Au quotidien, il rencontre des difficultés avec les enfants qui ont des problèmes de mémoire, à qui il faut répéter sans cesse les consignes. Il y a aussi ceux qui sortent de la classe, qu’il faut aller récupérer, ou encore ceux qui ont des « grosses colères » qu'il faut faire revenir au calme.
Dans le Puy-de-Dôme, Christophe, également en attente de son affectation, s’occupe d’un enfant autiste et de deux enfants dyslexiques. AESH dans une école privée en CUI depuis deux ans, cet ancien moniteur-éducateur raconte avec fierté les progrès de ses élèves. Employé à temps partiel (24 heures par semaine) pour un salaire de 704 euros net par mois, il espère lui aussi pouvoir continuer à accompagner les mêmes enfants. Il attend la signature d'un CDD à la rentrée avec impatience. Ne serait-ce que pour répondre aux parents. « Ils nous demandent sans cesse qui va s’occuper de leur enfant à la rentrée, et même si quelqu’un va s’en occuper. »
Des contrats signés dans plusieurs académies ne respectent pas la nouvelle circulaire
L’ANPES, Association nationale de parents d’enfants sourds, qui lutte pour l'éducation en langue des signes française (LSF), s’inquiète quant à elle de la généralisation des AESH. Depuis 2013, ces parents, qui ont choisi la LSF comme langue orale de leurs enfants, demandent un regroupement des élèves signants au sein d'établissements mettant à disposition des enseignants maîtrisant la LSF.
« Qu’est-ce que les AESH vont apprendre en 60 heures ? », s’interroge Catherine Vella, présidente de l’ANPES, au sujet de la formation obligatoire pour les AESH. « M. Blanquer et Mme Cluzel ont un discours où ils prônent la pédagogie. Ils disent que les enfants vont être poussés vers l’avant, mais cette inclusion individuelle dont nous ne voulons pas, et qui plus est sans les moyens en face, va être une catastrophe pour nos enfants. »
Catherine Vella a pris part à la concertation sur l’école inclusive, menée fin 2018, réunissant parents, associations de personnes en situation de handicap, gestionnaires d’établissement médico-sociaux, professionnels de l’éducation et accompagnants, avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Elle regrette presque les neuf demi-journées passées en réunion de concertation, pour se retrouver « face à un mur de béton ».
Quelques améliorations sur les conditions de travail des personnels ont toutefois émergé de cette concertation, notamment la suppression du recrutement sous contrat aidé d’un an en CUI, qui laisse la place à un CDD de trois ans, renouvelable une fois, avant un éventuel CDI.
Autre changement, l’annualisation du temps de travail sur 41 semaines contre 39 aujourd’hui. Francette Popineau salue la stabilité procurée par le CDD de trois ans et l'« avancée financière » découlant de l’annualisation sur 41 semaines et donc de l’augmentation du nombre d’heures travaillées. « On est loin du compte, mais c’est un peu mieux. D’autant plus que cela rémunère le temps de travail invisible », comme les rencontres avec la famille pour préparer une sortie scolaire ou les rendez-vous à la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Elle regrette en revanche l'absence d’avancée sur la professionnalisation. « Il faut arriver à un métier statutaire, comme les infirmiers ou les éducateurs, avec une formation qualifiante et un salaire adossé au SMIC », indique-t-elle.
Que ce soit sur la durée des contrats ou la question de l'annualisation, la mise en œuvre de la réforme est poussive : un mois après la publication de la circulaire de rentrée, certains contrats signés n’intègrent toujours pas les évolutions. De nombreux cas ont ainsi été signalés, le 2 juillet, au ministère de l'éducation nationale par le collectif AESH National CGT Éduc’Action, bien décidé à faire pression sur les académies pour qu'elles corrigent les erreurs avant la rentrée. Contacté, le ministère explique que certaines académies avaient anticipé le recrutement pour la rentrée et que les outils informatiques ont dû faire l'objet de correctifs. Ces deux raisons ont donc conduit certaines académies à signer des contrats qui ne respectent « pas encore » la circulaire. « Mais elles pourront proposer des avenants à la rentrée. »
De fait, la mise en place des PIAL inquiète aussi les parents d’élèves. Dans une lettre ouverte adressée le 20 juin à Sophie Cluzel, secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI) salue la création d’un service public de l’école inclusive, tout en partageant les mêmes réserves que les personnels, « notamment sur l’expérimentation des PIAL et sur la mise en œuvre des équipes mobiles d’appui médico-social ». L’UNAPEI, qui défend le droit à la scolarisation, insiste sur la prise en considération des besoins individualisés des élèves."