Amiens, le 27 juin 2018,
Monsieur le Président,
Depuis plusieurs mois, nous vous alertons quant aux impacts de votre politique
d’austérité sur le champ du médico-social et plus particulièrement sur la prise en
charge des mineurs confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance.
En mars dernier, vous avez été destinataire du courrier transmis au Procureur de la
République qui signalait les risques encourus par les mineurs confiés à ce service.
Force est de constater que, malheureusement, nous avions raison.
En effet, depuis cette interpellation restée sans réponse, nous déplorons, dans
quasiment toutes les structures accueillant des mineurs, des faits et incidents
graves qui ont fait la une des journaux.
Vos baisses de dotations conduisent les associations à baisser leurs taux
d’encadrement, à faire des économies drastiques (loisirs, hygiène, alimentation…
tout y passe).
Leurs comptes sont dans le rouge, les professionnels sont à bout.
Au milieu de tout cela, ce sont ces enfants, dont on nous confie la protection, qui
sont les victimes collatérales.
Nous faut-il abandonner nos idéaux, nous débarrasser de notre éthique
professionnelle et nous conformer à la volonté financière au détriment d’un suivi
éducatif digne de ce nom ?
A quel moment allez-vous réagir et écouter les gens de terrain ?
Actuellement des appels d’offre ont été lancés, mettant les diverses structures en
concurrence pour obtenir ces « parts de marché ».
Ainsi, vous les contraignez à proposer des prises en charge au rabais qui ne
répondent plus aux besoins des mineurs.
Pour illustrer notre propos, nous allons vous donner un exemple : sous prétexte de
travailler l’autonomie, nous dirons plutôt pour palier à la saturation du dispositif,
certaines structures envisagent que les adolescents de 16 ans soient
systématiquement en logement extérieur.
A 16 ans, étiez vous, Monsieur le Président, assez autonome pour vivre seul, gérer la
solitude, votre budget, votre quotidien, investir votre scolarité et surtout réussir,
faute de quoi aucun contrat jeune majeur ne sera possible ?
Nous évoquerons aussi la prise en charge des MNA (mineurs non accompagnés).
Ces derniers bénéficient d’une prise en charge au rabais et se voient, le
dimanche, dans l’obligation de passer la journée dehors, faute d’un personnel
suffisant pour les encadrer.
Nous vous rappelons que les mineurs en danger, toutes origines confondues, ne
sont pas des marchandises et que vos décisions ont un impact direct sur leur
avenir.
Vous vous targuez d’avoir maintenu les investissements dans votre département.
En effet, les différents services sont pourvus d’une flotte de véhicules flambant
neufs. Mais au train où vont les choses, il n’y aura bientôt plus d’agent pour
conduire vos jolies voitures !
Puisque l’investissement semble être votre leitmotive, mettez les moyens pour que
ces jeunes puissent réaliser leur projet, poursuivre leur scolarité dans un contexte
sécurisant et propice à leur réussite.
Cet investissement sera, sans nul doute, moins médiatique que votre flotte
automobile, mais certainement plus utile pour l’avenir de ces jeunes.
A plus ou moins long terme, et nous allons utilisé un argument qui va vous parler,
cet investissement sera économiquement rentable, puisque moins de RSA.
Vous n’êtes pas sans savoir que, de par votre fonction, vous êtes responsable de
chacun des enfants confiés au département et que vos orientations politiques ont
un impact direct sur l’avenir et le devenir de ces derniers.
Actuellement, les anciens enfants placés représentent 30 % des sans-abri. Monsieur
DULIN Antoine, vice président du Cese (Conseil économique, social et
environnemental) a, lors d’une interview, indiqué : « Nous sommes face, en
quelque sorte, à un scandale économique, financier et éducatif ».
Nous rejoignons son analyse et espérons que le rapport, commandé en mars
dernier par le Premier Ministre dans le cadre de la stratégie interministérielle sur la
protection de l’enfance et remis ces derniers jours, verra ses propositions retenues :
- modifier le droit commun en garantissant aux jeunes de 18 ans sortant ou non de
l’ASE, un parcours d’accompagnement vers l’insertion avec une garantie de
ressource.
- créer un droit spécifique pour les jeunes majeurs sortant de l’ASE, avec une prise
en charge jusqu’à la fin des études ou jusqu’au premier emploi, co-financée par
l’État et les Départements, mais aussi généraliser le contrat jeune majeur.
Régulièrement, nous sommes confrontés à des décisions arbitraires de la Direction
Enfance et Famille qui entraînent des sorties d’établissement.
Ces sorties n’ont pour unique but que de « faire de la place » au détriment de la
réussite de ces jeunes majeurs.
A cela vient s’ajouter le renouvellement des contrats jeunes majeurs sur un court
terme qui ne permet pas à ces adolescents de poursuivre sereinement leur
scolarité...
Et pourtant, ces contrats jeunes majeurs ont prouvé leur efficacité car selon une
enquête de l’INED (institut national d’études démographiques) réalisée sur
plusieurs années et dont le résultat a été publié fin 2017 : les jeunes enfants placés
s’en sortent presque aussi bien que les autres, à condition d’être accompagnés
après leur majorité.
Actuellement, le nouveau schéma départemental de la prévention et de la
protection de l’enfance et de la famille est en éloboration, peut être est-ce le
moment de réellement y associer les travailleurs sociaux de terrain, de modifier le
cap que vous avez pris et de changez vos orientations politiques avant qu’il ne soit
trop tard.
Cela évitera à la DEF de devoir annuler la venue de TF1 par peur que votre jolie
vitrine ne soit entachée par quelques travailleurs sociaux en colère.
Dans l’espoir que ce courrier attirera votre attention,
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de notre
considération distinguée.
Le collectif des travailleurs sociaux de la Somme
Copie : Madame Caron-Decroix, Madame Augros, Procureur de la République, Juge des
Enfants, Monsieur LECAT, Monsieur ROUILLON, Madame DENIS, Inspectrices, Référents ASE
des Territoires, Chef d’établissement, Chef de service des MECS et groupe, Défenseur des
droits de l’enfant, DDPJJ
La réponse du Président du Conseil Départemental de la Somme (Laurent Somon) est en pièce jointe.